Le pouce levé lui assure qu’ils sont sur la bonne voie. « Je m’attendais à pire », glisse Émile sous sa voix, avant de piocher un, non, deux, morceaux de sandwichs coupés en nets triangles sur l’un des plateaux de nourriture. C’est bien évidemment parce qu’il dit ça que la prochaine question est définitivement plus croustillante, générant chez l’Élémentaire de l’Ombre un « Mais ! » qui résonne en écho de celui de Selin. Ah oui, elles y vont direct pour le savoureux, les copines. Ça lui plaît, d’un côté : elles n’hésitent pas à profiter de la situation et de l’absence de limites autour des trois questions autorisées. De l’autre… c’est un peu intimidant.

Émile n’est pas de nature timide, c’est même plutôt aux antipodes de sa personnalité expansive, mais considérant le crush qu’il nourrit à l’endroit de Selin depuis la première seconde où il a croisé son regard, ça a un grand potentiel gênant.

Il hausse un sourcil, comique, guette Selin par-dessus les verres de ses lunettes roses. Il est curieux de savoir ce qu’elle saura conjurer de leur relation vaguement amicale pour le transformer en détail d’une relation amoureuse naissance, ou de voir ce qu’elle inventera de toutes pièces. Et ce serait bien que lui aussi y pense, vu qu’il est attendu qu’il passe au grill tout de suite après la Deniz ― oui, préparer une réponse, au lieu de seulement se dire que cette robe lui va vraiment bien, ce serait pertinent. On lui offre une coupe de ses bulles sans alcool pour le faire patienter pendant que sa petite copine du jour cherche quelque chose qu’elle aime le plus chez lui ― une des amies commente que ça semble difficile à trouver, Émile dit « J’ai trop de qualités, c’est pour ça » avec un sourire lumineux. Haziran ― « La future mariée, c’est bien ça ? » rit, acquiesce à sa déduction instinctive, juste avant que l’attention de toustes se reporte sur Selin et la réponse laborieuse qu’elle leur offre enfin.

Une réponse certainement inspirée de leurs réels échanges matinaux, sauf que là où les ami.e.s imaginent sans doute quelques discussions sur l’oreiller, c’est plutôt par textos qu’ils ne cessent de bavasser dès le matin, autour des photos réglementaires de leur tenue du jour. « C’est facile, d’être gentil, avec toi », répond doucement le policier, avant de plonger le nez dans ses bulles (parce qu’il rougit)(ehlp). Et maintenant, c’est à lui, de dire quelque chose. Il mange ses deux petits sandwichs, une fraise piquée dans un bol, feint la réflexion, les yeux dans ceux de Selin, avant de se décider dans les quelques options apparues dans son esprit. Crush oblige, il a eu quelques idées ; faux petit ami oblige, il doit être un peu plus profond que ses premières idées. « J’ai le droit de répondre la façon trop adorable dont tes pommettes s’arrondissent lorsque tu souris ? Et les fossettes que ça te fait ? Et lorsqu’elle gonfle les joues parce qu’un peu embêtée, l’avez-vous vu ? Et comme ses yeux brillent ? La longueur de ses cils ? La couleur de ses iris ? Sa peau douce ? Ses jolis vêtements ? Ses cheveux ? Avez-vous vu Selin ??? Parce que si je n’ai pas le droit de dire ça, je dirais que j’adore ta répartie. T’as toujours quelque chose à me répondre. »

« Moi ?! », que s’outre le policier en plaquant sa main sur sa poitrine, puis sur son front, dans un geste grandiloquent ― tout pour tenter d’effacer la gêne rampante qui s’insinue sous sa peau alors que Selin lui dit qu’il abuse. Il ne la croit pas, il n’est même pas sûr qu’elle-même se croit, alors que ce jeu somme toute amusant sonne un peu trop vrai pour tout le monde. Ah oui, les amies vont définitivement croire à leur mascarade ! Et son idiot de coeur mou comme de la guimauve aussi, d’ailleurs ! C’était un très mauvais calcul, en fait, et Émile ne se fiera plus jamais à son idiot de don qui l’a mené tout droit dans ce piège très doux.

La dernière question qui se dessine fait soudain naître un pressentiment étrange dans son ventre. Pour peu, il voudrait l’arrêter dans sa course, se ranger aux arguments de la Turque et prétendre que tout ceci n’est pas drôle du tout. La question n’est pas encore prononcée que l’Élémentaire entrouvre les lèvres, la nuque parcourue d’un frisson lourd, quelque chose qui vibre entre ses yeux, dans ses tempes, apporte son propre sentiment de fin du monde. Une fin du monde aussi douce que ce piège : « Vous venez ensemble à mon mariage ? » Selin hoche négativement la tête, ce qui est la bonne réponse. Le policier ne bouge pas lorsqu’on le regarde à son tour, comme s’il pouvait changer l’issue de cette réponse.

Bien sûr qu’il adorerait aller au mariage d’Haziran avec Selin ! Bien sûr qu’il est partant pour poursuivre la supercherie aussi longtemps que nécessaire, que ce soit maintenant ou dans quelques mois ! Ce n’est pas une question : qu’elle lui demande et il le fera sans sourciller, prêt à sauter dans l’arnaque sans se retourner.
Il n’a toutefois pas besoin de sixième sens, de troisième oeil, des murmures instinctifs de l’Ombre, pour savoir que ce n’est peut-être pas tout à fait une bonne idée. Il lui suffit de mesurer le rythme des battements de son cœur et la chaleur affolante à ses yeux, ceci sans qu’il ait bu une seule goutte d’alcool, pour savoir que ce serait même une mauvaise idée.
(il le ferait quand même)

Il s’humecte les lèvres et, plus sérieux que léger, il élude galamment toute réponse trop franche : « Ce sera à Selin de décider. » Déjà y’en a une qui insinue qu’elle pourrait décider maintenant, qui veut pousser la question et sur les non réponses que les deux tourtereaux ont osé offrir, alors que la mascarade s’est bien retournée contre eux. Émile attrape quelques autres fraises et décide de changer le sujet, ou plutôt, de le dévier juste assez pour que le point central de la discussion ne soit plus ça : « D’ailleurs, je peux voir une photo du fiancé ? Et de la robe ? Selin vous l’a probablement dit, mais je suis un expert en mode. C’est comme ça qu’on s’est connu, après tout. » Le sourire est innocent, au-dessus de sa chemise tie-dye maison. Un expert pour distraire l’assemblée, aussi et surtout !