La  chaleur a été écrasante toute la journée et au cœur de la ville, Émile a eu l’impression de cuire dès qu’il a mis le pied hors de son appartement pour aller garder Max (histoire de laisser une journée de fin de semaine de libre à son ami). Il fait à peine moins chaud à cette heure, maintenant que le soleil a entamé sa course descendante dans le ciel et l’enflamme de roses et de rouges, mais c’est déjà bien apprécié. Apprécié, et mérité, puisque ce soir, il a une sortie, et il faut croire que même sans pressentiment salvateur, l’Élémentaire sait très bien choisir les lieux. C’est-à-dire, ce soir, près d’un plan d’eau.

Il a peut-être un léger coup de soleil sur les joues et le nez, ce n’est pas certain, qu’importe la casquette dûment portée toute la journée. Encore moins alors que Léandre sort du Chat-fé et que le petit fard attribuable à la chaleur et à l’astre solaire ne l’est peut-être plus tout à fait. Ou pas entièrement.
Écoutez, son crush sur Léandre est heureusement passé, so very Spring 2022 (oui, c’était il y a deux mois au max, et on ne dit pas qu’il était encore d’actualité en juin), mais ce n’est pas une raison pour ne pas apprécier la vue, ou la compagnie. Surtout la compagnie.

La balade en vélo jusque dans le sud de Strasbourg rafraîchit sa nuque chaude, les quelques gouettes de sueur qui ne manquent pas de perler sur son front, ceci jusqu’à ce qu’ils arrivent à Illkirch. Près du point d’eau visé, au bord duquel profiter d’un peu plus de vent encore, il n’y a étonnamment pas trop de touristes, ni de locaux. On confirme : il a bien choisi !

Son vélo rose est couché dans l’herbe et le sac à dos (jaune) est déposé juste à côté, non sans qu'Émile ait un soupir content d'être arrivé à destination. Il s'essuie le front avec le bas de son t-shirt avant de s'accroupir et d'ouvrir le sac, manifestement à la recherche de quelque chose. « Et… voilà pour toi ! », clame Émile, le triomphe dans la voix, en extirpant du sac ouvert le bubble tea bien scellé destiné à Léandre ― sa commande préférée, bien sûr, c’est à ça que servent les amis (et surtout les anciens crushs). Bien scellé et encore bien froid, merci tous les glaçons du breuvage. Un choix de pailles colorées est ensuite sorti du sac, puis disposé en éventail sous le regard du Dietrich. Petit arc-en-ciel de tout ce qui a été chapardé au salon de bubble tea, sous les considérations d’un barista sceptique sur pourquoi il pouvait bien avoir besoin de dix pailles pour deux gobelets. « Prends celle que tu veux. » Il est tellement bon prince qu’il est même prêt à lui laisser la paille jaune.

La chaleur... Globalement t'es protégé en journée. La connerie des gens par contre... T'en es un peu moins préservé alors que tu regardes cette femme entre deux âges. Tu serais pas foutu d'lui en donner un d'ailleurs, puisque l'âge, c'est une question à risque, que tu sois d'un genre ou d'un autre. Et toi, t'as jamais eu vraiment d'piff pour tout ça, c'est quelque chose de flou. T'es généralement à côté d'tes pompes, et quand on t'demande, tu réponds une grosse connerie pour qu'on t'embête pas trop.

Cette femme que t'as en face de toi donc, t'explique que ce n'est pas normal, qu'elle n'a été approchée par aucun chat alors qu'elle a passé une heure dans ta "Gargote". Merci pour le terme. Tu hausses un sourire, sans te départir de ce sourire que tu veux bienveillance, t'excusant milles fois pour le désagrément. Parce que après tout n'est-ce pas ce que le client demande de toi ? En prime tu lui fais une ristourne de cinq pour cent pour le désagrément, et lui souhaite une bonne fin de journée. T'en penses pas un mot. Sur ces bonnes paroles, tu fermes finalement ta boutique, lassé par la connerie humaine. Tu montes dans ton appartement, prenant une douche dûment méritée. Avant d'enfiler une chemise sombre. De nombreux petit nuages bleus bardent le tissus, des éclairs roses accompagnent le nuage. T'aimes bien cette chemise, t'accompagne le tout d'un jeans noir et de tes sempiternelles converses bordeaux -pas rouge, ça s'est trop vu à tous les pieds-. Tu prends ton sac, la crème solaire bien en place dedans, ainsi que quelques bouteilles de soda et ton téléphone. Tu sors finalement du bar à chat non sans avoir vérifié que tout le monde avait de quoi se remplir le ventre. Et quand tu l’aperçois, tu lui offres un grand smile.

"Emile !" Si au début t'avais tendance à raser les murs et l'éviter quand il traînait avec ton frère, une fois débarrassé de tes activités... Relativement discutables, t'avais trouvé un vrai pote en sa chère personne. Et aussi une cargaison de questionnements sur ta petite personne.

T'enfourche ta bécane, et te met à pédaler, t'as de l'énergie à dépenser. Et puis... Si tu vas assez vite, t'auras peut être pas le temps de voir ces silhouettes diaphanes qui te bouffent et tes émotions, et ton impression d'être en vie.

Le vent dans tes cheveux est chaud, mais loin d'être désagréable. Tu lourdes ton vélo une fois arrivé, et te pose dans l'herbe, jambes étendues, observant le ciel se parer de rose, de rouge sanglant, et de quelques touches de violet. T'as toujours aimé les couchers de soleils, encore plus quand les rayons réchauffent doucement tes joues.

Tu te concentres sur l'instant, pour ne pas prêter l'oreille à tes problèmes existentiels qui tambourinent à ta porte. L'fait que tu saches pas si tu t'sentes vraiment à ta place en tant qu'homme, qu'tu sortes depuis peu les petons du monde de Narnia, dans l'quel tu t'étais enfermé, bien loin au fin fond de ton placard. Et là... Emile sort de son sac -une besace magique sans fond, sans doute, du moins t'en es sûr- un bubble tea. "Wah... Tu t'es souvenu de mon préféré" Thé pêche, billes mangues. "t'es un amour. Et moi... Heu..." Tu sors de ton sac de la crème solaire indice cinquante. "J'pense à t'épargner les coups d'soleil, ce serait dommage. En plus ça épargne les cancers de la peau, j'rallonge ton espérance de vie t'as vu ?" que tu clames. Un échange en bonne et due forme, et tu t'laisse finalement tenter par la paille rose, couleur préférée inavouable. "Merci Em'" que tu glisses dans un murmure, un demi sourire sincère tordant tes lippes.

« Wah... Tu t'es souvenu de mon préféré. Évidemment ! » What, like it’s hard ? et tout ça, que laisse deviner son grand sourire extrêmement ravi d’avoir bien choisi. Il se penche un peu pour regarder la crème solaire à l’indice élevé que lui désigne Léandre et la chaparde de sa main libre. Un must pour la saison estivale. « Mon espérance de vie et la douceur de ma peau », approuve-t-il sans retenue. Un vrai pote, quoi !

Puis, écoutez : ça fait plaisir de rendre service et de planifier des petites surprises pour Léandre, surtout si c’est pour avoir des remerciements si doux, avec un tel sourire à la clé. Et être un amour, en plus. Rohlala, vraiment, c’est injuste que le Dietrich soit si chou… Émile sent déjà son coeur bondir un peu, et pas à cause du vélo. On a dit que c’était passé, pourtant !

Léandre choisit la paille rose, alors il s’arroge sans regret la jaune, plantée avec décision dans son propre choix de boisson du jour ― melon miel, laisse deviner le vert tendre du liquide où flottent les perles de tapioca. La première gorgée est un délice et sa fraîcheur manque de lui monter jusqu’au front, et c’est à son tour d’enfin s’asseoir.

Il prend le temps d’enfin bien détailler son ami, ce qu’il n’a pas fait lorsqu’il est sorti du Chat-fé, trop pressé qu’ils se rendent à un endroit plus frais que le centre de Strasbourg. « Ta paille est assortie à ta chemise », remarque-t-il avec douceur, en déposant brièvement le bout de l’index sur un éclair rose au niveau du pectoral gauche de Léandre. Aussi sans gêne qu’admiratif. Émile aime ce qui est assorti, vous l’avez déjà deviné. Il reprend ensuite sa main et s’étend dans l’herbe, sur son flanc, levé sur son coude afin de pouvoir continuer à boire son bubble tea sans s’étouffer. « Mec, je suis : cre-vé. J’ai passé la journée avec Max, c’était génial, mais la chaleur nous a tué. La gamine autant que lui. Vu son regard un peu vitreux lorsqu’il a quitté l’appartement après avoir pris une douche bien méritée, elle va dormir comme un loir, cette nuit. Tant mieux. Tu t’en sors, avec ta première vraie saison de touristes ? »

Tu regardes le bubble tea encore frai, t'as hâte de planter la paille dedans. ça faisait une éternité que t'en avais pas bu. Tu lui offres un grand sourire. En plus de la dite crème solaire, dont tu compte bien profiter toi aussi, fallait dire que t'étais aussi blanc qu'un p'tit cachet d'aspirine, t'avais pas l'option bronzage, tu passais surtout du blanc pâle, au rouge écrevisse. Pédaler jusqu'au plan d'eau c'était un plaisir, se vider la tête, laisser défiler les routes, loin du stress du quotidien, c'était ce qu'il voulait, c'était ce qui lui manquait.

Tu plantes dans un "pop" sonore ta paille dans le film plastique, aspirant -PRESQUE- pas bruyamment. C'est rafraichissant, ça fait du bien. C'est un nouveau sourire qui te saute aux lèvres quand Emile évoque ta chemise. "Bah écoute mec... J'ai trouvé une frip' à deux blocs de chez moi... Et quand tu cherches assez tu tombes sur ce genre de trucs... Je t'y traînerai ! Je... Le rose c'est ma couleur préférée." Qu'il murmure à demi mot. Et ce, depuis tout petit. Le fait que le bleu et le rose soient associés à différents genres, c'est quelque chose que t'as jamais approuvé, t'en as souffert, gamin.

"J'connais une gamine qui va bien dormir ce soir... Ces chaleurs c'est la mort, c'est pour ça que j'suis pas encore sorti du Chat-fé. Il fait trop chaud, et la clim c'est le feu..." Tu ris. Déjà... T'habites dans une vieille maison -rénovée- de Strasbourg. Tu voulais que tes chats soient à l'aise, c'était l'plus important. Il faisait frai, l'été, dans le bâtiment, et on se pelait les miches l'hiver. Il n'était pas rare que t'associes un bon gros pull et un plaid. Tu hausses les épaules. "... On m'a demandé des trucs qu'on m'avait jamais d'mandé avant. Genre... Que j'force les chats à venir voir des clients, que j'fasse des trucs pour qu'ils arrêtent de dormir... J'suis sympa mais... Mes chats font ce qu'ils veulent, c'est leur lieu de vie. J'en reviens pas de l'entêtement des gens, y'a même une dame qui a envoyé une lettre de réclamation à l'association avec qui je travaille, tu te rends compte ?" Et tu regardes finalement ton vis à vis, un p'tit sourire aux lèvres. "Et toi l'boulot ça se passe bien ?" A une époque, quand t'étais dans la sauce jusqu'au bout, tu savais qu't'avais fuis Emile comme la peste, de peur qu'il découvre tes secrets. Aujourd'hui... Tu le vivais mieux.

Une friperie ? Pas loin de chez Léandre, donc techniquement pas loin de chez lui, aussi ? Émile est déjà en train de frénétiquement hocher du chef, tout à fait partant pour une expédition magasinage avec le Dietrich ― pour tout ce que Nat déteste faire de ce côté, Léandre et Alice rattrapent, et le policier est toujours heureux de se dévouer pour son meilleur ami lorsqu’il a des trucs vestimentaires à acheter. Une générosité naturelle, voyez-vous ! Et pas du tout une propension à dépenser un coquet pourcentage de son salaire dans des fringues, qu’importe qu’il n’ait plus de place dans ses placards et tiroirs pour en entasser davantage ! « Vraiment ?? C’est aussi une de mes couleurs préférées ! Même si le jaune l’emporte, y’a qu’à voir son vélo rose pour comprendre qu’il dit la vérité. Aussi que ça ne lui fait pas grand-chose, ce qu’on pense de lui sur ce plan. En plus, ça te va bien. Tu devrais en porter plus. »

Si ça peut l’encourager, le convaincre que vraiment, porter du rose et l’assumer un peu plus, ça ne fera de mal à personne et surtout pas à lui… le Kim est prêt à aller magasiner mille chemises avec lui, et à lui dire aussi souvent que possible que ça lui va comme un gant. Surtout que ce n’est pas un mensonge.

Y’a heureusement la clim au Chat-fé et vu ce que lui raconte son ami, c’est bien le seul avantage au travers les touristes désagréables qu’il doit supporter à chaque fois. « [...] J'en reviens pas de l'entêtement des gens, y'a même une dame qui a envoyé une lettre de réclamation à l'association avec qui je travaille, tu te rends compte ? Ben voyons, commente-t-il, incrédule. Elle leur disait quoi ? Que les chats étaient brisés ? Que tu ne faisais aucun effort pour leur pourrir la vie ? » Il aurait voulu voir la tête des gens de l’asso quand ils ont reçu cette lettre, ah ! Probablement qu’ils n’ont fait que confier davantage de félins à Léandre, ainsi convaincus qu’il faisait définitivement un top boulot.

Le flic a un geste vague de la main lorsque la question est retournée. Son boulot est mille fois moins cool que celui de Léandre, franchement. « Comme d’hab, le crime ne prend pas de vacances. C’est la saison des touristes qui se font arnaquer et de la pêche aux vélos dans l’Ill. Laisse-moi te dire que je suis content de ne plus avoir à m’occuper de ça, ha ! » Il souffle, il rigole, avale une longue gorgée de son thé, mâche quelques perles de tapioca en prenant garde de ne pas se mordre la joue au passage. Lorsqu’il patrouillait encore, l’été avait ses défis particuliers ambiance touristes bourrés, pickpockets en goguette et autres petits crimes estampillés belle saison, en attendant que les étudiant·e·s de l’université reviennent mettre leur propre dawa (une autre ambiance de petits crimes). Ça pouvait être sympa, mais c’était surtout gavant, comme… comme pas mal tout ce qu’il faisait comme patrouilleur, hein. Être inspecteur, c’est carrément plus sympa pour ça : au moins, parfois, y’a des trucs intéressants.
Oui, on sait, un policier qui évalue son boulot selon son niveau d’ennui, ça a de quoi faire soulever un sourcil, mais dans le cas du Kim, ne soyez pas trop surpris.
« En vrai, y’a encore pas mal de tensions qui durent depuis l’accident de ce printemps. Pas de surprise là non plus. Il le dit sur un ton un peu plus bas, en restant suffisant vague pour n’incriminer directement personne. La confidentialité et tout. Surtout du côté des députés. Tout le monde est à cran. »