« C’est trop injuste ; » Elle le dit seulement parce qu’il le faut. Elle ne retrouvera peut-être pas Neo de si tôt mais elle fera bien d’autres rêves à un moment donné. La tranquillité de Nat, un semblant de repos dans sa vie d’adulte, son frigo… Tout est foutu. Alice grimace, de dépit et un peu de compassion, prie assez fort pour que ça ne lui arrive pas de si tôt. Comme d’habitude son frère a bien du mal à se débourber du canapé, à croire qu’il est destiné à se faire manger par tous ; les sourcils se froncent dans une moue dubitative quand elle l’observe chercher ses clés. « Mais… » Elle commence à protester, veut lui dire qu’elle envoie quelqu’un pour l’aider et qu’il peut bien rester dormir, qu’au pire foutu pour foutu ça peut attendre demain… Elle n’a la force que de hausser une épaule, sourit légèrement au souhait et au geste. « Prends pas peur si ça sonne chez toi, c’est de l’aide. » Elle pense à envoyer un message sur le groupe, pour prévenir ; meeting d’urgence chez Nat pour ceux qui peuvent, ramener éponges et serviettes et un peu de câlins si possible.

Alice pousse un soupir. Leur réseau est si étendu que ça pour qu’il demande vraiment, qui ? Y’a les bros, y’a les parents, y’a Emile. Elle ne va pas déranger les Jägers pour lui. (Elle pourrait essayer.) « Du père Noël, Nat ?! A ton avis… » Elle grimace un peu à sa prochaine question, la réponse qu’elle doit lui apporter n’est pas des meilleures. « Je pars à 4h30… » Il ne va pas revenir si tôt pour pouvoir surveiller Max ? Elle ne va pas emmener la pauvre enfant au boulot… ? Elle est dubitative à l’alarme qu’il souhaite mettre, le laisse faire mais… « Nat, le pourcentage pour que tu loupes ton alarme est proche des quatre-vingt là... » Elle attrape le verre. « Tu veux pas aller te coucher ? C’est un problème pour demain, non ? »

Alice aimerait lui répondre positivement — oui c’est du sarcasme, elle se lève à 10 heures, il peut carrément se lever à 4h s’il le veut ; et le Père Noël existe, il faudra qu’elle le dise à Max ça ! — mais elle ne peut pas, ou ce serait mentir. Elle hoche seulement la tête, un sourire ridiculement mince sur les lèvres. Elle n’aime pas quand on lui rappelle qu’elle est une adulte et que les adultes ne sont pas censés remettre leurs problèmes au lendemain. Quand elle voit l’état de Nat, elle se dit que c’est une solution géniale. Et elle ne saurait expliquer pourquoi elle n’aime pas tant son appart à lui, pourquoi elle déteste son canapé, pourquoi elle déteste son frigo maintenant mais… C’est comme ça. Tant pis. « Brûle ton appart. On r’part de zéro. » Une solution comme une autre… Il pourra faire passer ça pour un accident, en plus, (pas parce qu’il est bêta quoi que oups Nat pardon je t’aime mais la police quoi).

Alice laisse tomber — elle jette un coup d’oeil à son téléphone sur le chemin de sa chambre, voit le message de leur aînée déjà sur le pont à dire qu’elle a les clés et qu’elle est en chemin, (elle se demande si elle a aussi les clés de chez elle ce qui, franchement, ne l’étonnerait pas) ; elle fait finalement un détour pour refermer sa porte d’entrée et récupérer ses clés, à elle, enfermant son frère à l’intérieur. Max est déjà en train de ronfler et de prendre toute la place dans le lit, ça va que la petite est moins imposante qu’une certaine blonde qui a la même tendance et elle n’a pas de mal à la pousser pour se remettre dans son lit. Y’a toujours de la place, au besoin, derrière elle ou sur son canapé.

Alice dort ; ça n'se voit peut-être pas, mais elle dort, elle ne répond plus à rien, ne lui parlez pas. Elle aimerait croire que ce soit suffisant pour que Nat se fasse une raison, cède à l'envie de faire une sieste, qui durera toute la nuit, mais... C'est qu'il est têtu, le con. Elle grogne un son mais rouvre un oeil en entendant le bruit familier, siffle son mécontentement d'un « Nat ! » pour qu'il arrête ses bêtises. Si elle ne le connaissait pas, elle ferait semblant de dormir encore longtemps ; elle le connaît, il est capable de tenter la cascade juste pour prouver son point. « Naaaaat !! » Elle crie-chuchote-souffle. « Nana s'occupe de ton appart', va dormir ! » Est-ce qu'il faut qu'elle prenne la voix agacée ordonnant de Maman ? L'appelle carrément ? Lui moufte tout pour que son frère prenne la décision la plus logique, ce soir ?

Il y a bien une seconde, où Alice se demande si on lui en voudrait (vraiment) (beaucoup) si elle était responsable du décès d’Anatole ; puis l’idée la frappe vraiment et la fait bondir, et elle bouscule sans doute Max au passage mais bon sang son frère est con c’est insupportable (elle ne veut pas se faire virer du testament). Elle s’cogne et couine de la douleur mais ne recule pas, attrape l’idiot de ses deux bras et le serre contre elle pour l’empêcher de faire quelque chose de particulièrement stupide. « C’est bon c’est bon, pardon, retourne à ton appart’, » elle souffle, le front contre les épaules de Nat, attend qu’il fasse marche arrière pour le relâcher, « va dormir sur ton canapé et j’emmènerai Max à la boulangerie demain matin et son institutrice va râler, tant pis. » Elle exagère à peine ; pas besoin d’être liée à l’Ombre pour savoir ce qu’il va se passer. Oh, elle pourrait peut-être appeler Emile… Elle souffle. « J’vais l’dire à Maman. » Elle n’a vraiment pas d’arguments. C'est pour son bien à lui.