Le ciel gris et la bruine qui tombe sur Strasbourg de si bon matin, c'est… absolument démoralisant. Samuel est réveillé depuis un petit moment et malgré la liste de choses qu'il a à faire, la motivation n'est pas au rendez-vous. Il s’extirpe en grognant du canapé et se dirige vers le coin cuisine de l’appartement. De là, il jette un nouveau coup d’œil à l’extérieur et soupire de voir le même paysage. Ça faisait déjà plusieurs jours qu’il n’y avait rien d’autres que nuages, vents glaciaux qui vous transpercent de part et d’autre et paquets de feuilles mortes jonchant le sol.
L’automne, quel saison de merde. Rien qu’un matin, Samuel adorerait pouvoir jeter un œil dehors et y voir autre chose que des gens évitant des flaques d’eau gigantesques. Qu’est ce qu’il aimerait voir à la place ? Une rue baignée de lumière. Un ciel aussi bleu que possible, dans lequel le soleil brillerait de mille feux.
A bien y réfléchir, s’il pouvait voir autre chose que les moroses rues de son quartier, il ne serait pas contre l’idée d’avoir une plage de sable fin et chaud juste sous sa fenêtre. Une mer à la température parfaite. Un budget illimité et la possibilité de se pavaner sous le soleil. …Non, il se voilait la face. Ce n’était pas Strasbourg le problème. Mais c’était tous les récents évènements. Des tas de choses qu’il essayait d’éviter… Pour commencer, la vaisselle qui lui faisait face ! Gabriel et son planning avait été clair, c’était le tour de Samuel de s’en occuper. La petite montagne de plats, couverts et verres ne lui donnait pas envie mais il s’empara tout de même de l’éponge en soufflant du nez. Cette journée était déjà assez remplie, plus vite il s’y mettait et plus vite il pourrait passer à la suite. Alors qu’il commençait à verser plus de liquide vaisselle que nécessaire sur l’éponge rugueuse, un bruit qu’il connaissait pourtant parfaitement le fit sursauter, lui donnant l’impression que son cœur avait raté un battement. La sonnerie de son téléphone nouait son estomac à chaque vibration. Il essuya avec hâte ses mains savonneuses sur son pantalon et porta son smartphone à son oreille, faisant de son mieux pour ignorer ce sentiment d’appréhension.
“Allo ?”
“Oyé, c’est quoi cette toute petite voix ?”Louis. Ce n’était que Louis. Samuel se permit de respirer un peu et répondit, plus détendu.
“Depuis quand tu m’appelles aussi tôt ?”
“De nous deux, c’est pas moi qui fait des grasses mat’. Non, en plus, il fallait que je vois avec toi. Je dois savoir si tu seras dispo pour la semaine pro'.”Louis était une connaissance de Samuel. Quelqu’un qu’il ne fréquentait que pour des raisons professionnelles mais très sympathique. C’était lui qui se chargeait d’organiser les combats prenant place dans les bas quartiers de Strasbourg. C’était aussi son job d’y inscrire les têtes brûlés à la recherche d’argent comme Samuel. Il pouvait se montrer assez insistant, ce n’était pourtant pas la première fois que Sam lui expliquait que ce n’était pas la meilleure saison pour lui pour se mesurer à d’autres, littéralement.
“Louis, je pensais te l’avoir déjà dit. Oublie moi pour un petit moment, j’ai autre chose à foutre pour le coup.”
“Rooh, allez. Il me manque un mec… En plus, j’ai parlé avec les habitués, certains se demandent quand tu reviendras. Je leur ai promis que j’allais t’en parler.”Mensonge éhonté, ce que Louis appelait “les habitués”, c’est une poignée de mecs qui s’en foutent pas mal de qui ils acclament, tant qu’il y a de l’action. Ils seraient incapables de reconnaître Samuel si on le mettait devant eux, dur de croire qu’ils voulaient le voir.
"Ça fait des lustres que t'es plus venu, pour quelqu'un qui se plaint d'avoir des problèmes d'argent. Hé, si c'est par rapport à la raclée que tu t'es pris la dernière fois, on peut s'arranger pour que ça n'arrive plus."Sympathique mais facilement détestable. Toujours à forcé la main et à refuser toute réponse négative, avec un talent certain pour vous faire réagir comme il le souhaite. Oui, d'accord, la dernière que Samuel avait participé, ça ne s'était pas fini comme il l'aurait imaginé. Il n'avait pas besoin qu'on le lui rappelle.
"Tu vas pas me lâcher, hein ?"
"Absolument pas. Si tu ne viens pas, je vais devoir annuler tout un tas de rounds et ça veut dire oublier pas mal d'opportunités de paris."
“Ok, ok. Je vais y réfléchir et je te tiens au courant.”
“Tu me sauves, Sam !”
“...J’ai pas encore confirmé, hein. Je te rappelle plus tard, là, je dois finir un truc.”Essayant de s’extirper de la conversation, Samuel raccroche après l’avoir salué. Ce n’était pas l’appel qui l’attendait mais il préférait mille fois se taper Louis le têtu si ça pouvait lui empêcher de devoir gérer son deuxième problème. Non, il ne s’agissait pas de la vaisselle inachevée cette fois, mais bel et bien de l’agence de voyage Echappée Belle et l’appel qu’il attendait d’un de ses employés. C'était une opportunité en or. On lui avait fait miroiter un belle grosse somme à la clé mais maintenant il n'était plus sûr de rien. En temps normal, il prendrait le temps d'en discuter avec ses colocs. Mais là,... C'était impossible d'aborder le sujet...
Samuel poussa l'éponge dans l'évier encore plein de vaisselle sale. Toute motivation l'avait quitté, il avait pas envie de jouer la femme de ménage. Autant passé au reste de sa journée, il trouverait une excuse plus tard.
Alexis avait accepté de se joindre à sa séance d'entraînement. En général, l'idée de s'entraîner avec lui suffisait à enthousiasmer Sam mais entre le sale temps et son nouveau job, c'était compliqué... Mais il n'avait rien annulé, se disant que Lex se serait inquiété. A la place, il avait préparé la petite salle étroite que la collocation aménageait différemment selon l'occasion. Chambre pour des invités, salle d'entraînement, de musculation, home-cinéma lowcost,... Aujourd'hui, Sam avait sorti le nécessaire pour que cet entraînement se passe au mieux. Au programme, un échauffement et des exercices planifiés par ces soins. Ce n'était pas tout les jours que Lex le suivait dans son entraînement mais lorsque ça arrivait, Samuel trouvait toujours ça intéressant de pousser un peu les limites. C'était le meilleur moyen qu'il connaissait pour se surpasser et continuellement s'améliorer. Il ne restait plus qu'à attendre l'autre partie du duo. Trop flemmard pour aller le chercher dans l'appart et ne voulant pas réveiller ses colocs en hurlant son prénom de si bon matin, Samuel opta une méthode assez discrète.
| Quand tu veux, Engelsschnauze. (gueule d'ange) |
En attendant son partenaire, Sam cherchait sur son portable dans les fin fonds de sa playlist, une musique qui pourrait énergiser le jeune homme. Perdu dans ses recherches, jouant d'un air distrait avec son canalisateur, il ne se rendit pas tout de suite compte de l'arrivée de Lex.