L'Opéra n'est pas loin, même à pieds. Oskar en devine l'ombre le temps de quelques rues à peine et s'il est un peu essoufflé cela tient surtout des étages à descendre pour sortir de son immeuble que de la marche en elle-même. Il a l'impression que cela va mieux malgré tout. Un peu. Pas encore prêt pour un marathon bien sûr, mais le poids qui lui compresse les poumons ne le jette pas à terre pour autant.
Oskar sourit, l'air n'est pas frais mais le soleil perd en intensité presque. Pas de beaucoup bien sûr, l'été est impitoyable, mais l'homme respire sans rien brûler de soi.
Il va voir Lian ce soir, et sait donc que rien de grave n'arrivera.
Lorsque Maximilian ets là, Oskar se sait protégé. La confiance que le plus jeune accorde à son aîné est aveugle tout autant que féroce. S'il y a une part de sauvagerie quelconque en Oskar Schaffer, Lian peut de sa simple présence, la réveiller. Déranger un peu cet esprit sage qui rêve sans vraiment oser.

Ils ont grandit, ils ne sont plus les gamins aux nez morveux des cours de récré. Lian est plus vieux qu'Oskar mais pas de beaucoup. Il est beau surtout, le teint pâle et délicat, les cheveux soyeux, comme une version douloureuse de ce que pourrait être Oskar avec une santé qui ne défaillit pas.
Lui, il n'est pas de ceux que l'on trouve séduisant. Malade, rachitique quand bien même il y a du muscle quand il ne perd pas tout par un séjour forcé à l'hôpital, on l'apprécie parfois de manière vulgaire comme une petite chose qu'il est facile de dominer.
Il pourrait envier Maximilian mais n'y arrive pas pour autant, l'autre paye le prix d'une vie dont Oskar ne sait rien et ne juge pas. A chacun son poids invisible et le boulet à ses pieds.

Lian est-il déjà là ? Oskar s'arrête aux pieds des marches blanches. Il compte les battements de son cœur, tâche d'y accorder son souffle. On le croit simplement perdu dans ses pensées, il a appris à cacher les choses.
Alors seulement, le jeune homme gravit le grand escalier, marche par marche,, les jambes avec la régularité d'une horloge, et entre dans l'Opéra. Le guichetier est un étudiant qu'Oskar a déjà vu lors d'autres représentations, il jette à peine un œil au billet. Lui aussi l'a reconnu. Un placeur s'avance jusqu'à Oskar et le mène jusqu'à l'une des loges réservées  à l'année. Il marche vite, Oskar peine à suivre, un couple de personnes âgées le dépasse à un moment. Ils commentent une représentation vu il y a longtemps de cela, ailleurs. Peut-être lorsqu'ils s'aimaient encore vraiment...

Oskar arrive enfin à destination, le placeur frappe à la porte puis part. Oskar entre, ses cheveux blonds ont pris un pli ébouriffé par l'effort. Il est heureux d'être venu là cependant, seul. Sa première sortie, sa première vraie sortie depuis son dernier séjour à l'hôpital.

 « Lian ? » appelle-t-il.  « Merci pour le billet. » Il veut s'asseoir, regarde avec appétit l'un des fauteuils de velours. Il fait un peu sombre dans la loge, Oskar s'avance plus et tend la main.